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03/11/2009

"Résister au libéralisme" (le livre de F. Huguenin) [3]

L'homme sans essence ni but, fils (orphelin) des Lumières :


 

La troisième partie du livre* s'intitule Revisiter l'histoire. Elle montre de quoi les « penseurs de la communauté » nous libèrent :

« Le triomphe du libéralisme annoncé dans les années 1980, la fin de l'histoire entendue comme le triomphe de la démocratie libérale, ont pris une ampleur particulière dans le monde anglo-saxon, avec la chute du communisme européen et l'idée que le modèle libéral américain devait pouvoir être exporté partout. Dès lors, une conception très partielle de l'histoire des idées s'est imposée, conception que l'on peut résumer autour de deux axiomes : une rupture extrêmement nette entre une pensée traditionnelle globalement conçue comme archaïque et une pensée moderne découvrant l'individu et sa liberté ; l'hégémonie voire l'exclusivité de la légitimité du libéralisme dans ce processus du progrès de la pensée. »

Face à cette « exclusivité » de la pensée-zéro, des intellectuels comme Pocock ont enquêté sur les sources de la modernité (intéressants aperçus sur Machiavel). McIntyre, analysant le séisme idéologique du XVIIIe siècle, a mis le doigt sur le coeur du problème – l'échec du projet des Lumières sur le plan éthique :

« Les Lumières rejettent unanimement ''la vision téléologique de la nature humaine, la vision de l'homme comme doté d'une essence qui définit sa vraie fin''. Le schéma traditionnel reposait sur une conception [...] du telos vers lequel l'homme devait tendre, grâce aux vertus. Mais le rejet de l'aristotélisme et des théologies chrétiennes a engendré l'élimination de la notion de l'homme tel qu'il doit être en réalisant un telos. Les préceptes moraux se retrouvèrent donc déconnectés de leur but. Le projet des Lumières ne pouvait qu'échouer, souligne McIntyre […] : si l'homme n'a pas pour but de vivre dans un au-delà de sa nature brute ou dans sa nature restaurée (comme le pensent les chrétiens) ou pleinement réalisée par la vertu, il y a peu de chances que les règles motivées par la poursuite d'un tel telos demeurent pertinentes... De fait, les pratiques et discours moraux modernes ne peuvent être compris que comme des discours fragmentaires d'une époque antérieure''.


Cet échec éthique des Lumières portait en lui l'échec de toute « morale laïque » : parfum d'un vase vide, celle-ci s'est évaporée au dernier tiers du XXe siècle. Comme le savent les lecteurs de ce blog, la démocratie (ou postdémocratie) occidentale s'est trouvée moralement/socialement désarmée, face au rouleau compresseur du matérialisme mercantile et de son marketing de tous les comportements, y compris les pires. D'où la situation actuelle... Errant sans boussole dans un désert, l'individu est sans cesse rabattu sur lui-même alors qu'il se sent en manque. Huguenin aussi pose ce diagnostic à travers la pensée de Taylor (A Secular Age), et l'applique à l'errance spirituelle de l'individu :

 

« Nous sommes entrés depuis un demi-siècle dans ''l'âge de l'authenticité'' […] Il y a à la base cette idée très romantique que ''chacun de nous a sa propre voie pour réaliser son humanité'' et que rien n'est au dessus de cela. C'est l'esprit 68 qui aboutit à l'universalisation de la catégorie du ''bobo'' (dont le précurseur fut le hippie) cultivant un ''égoïsme supérieur''. Cela aboutit à une relation schizophrénique à la religion, où il s'agit de ''croire sans appartenir'' (à des Eglises), d'être ''spirituel et non religieux'' ; de se faire un petit marché confortable au rayon des bons sentiments où le religieux n'a pas disparu, mais a été réduit, pourrait-on dire, à un objet de consommation en libre accès à l'étalage. »

 

Or ce fameux « libre-service des spiritualités » (sur lequel on a glosé à perte de vue depuis quinze ans) n'apporte rien au consommateur errant : il n'y trouve que lui-même, c'est-à-dire une errance. Mais si celui-ci tombe par miracle sur le christianisme vrai – dense et substantiel, non le pseudo-christianisme des sondages -, alors tout peut changer dans l'esprit de l'individu : y compris l'idée qu'il se faisait du lien social et du vivre-ensemble...

 

[à suivre]

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[*]  Résister au libéralisme (les penseurs de la communauté), CNRS Editions.

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17:08 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

VASSAUX

> Je vais lire ce livre, qui me paraît mettre en lumière des lignes de force peu visibles du public mais bien influentes ! Sans rire : quand on entend le baratin lambda de nos Morano-Besson-Bertrand-Kouchner et Cie, et quasi la même chose à gauche, on entend un sous-produit du système libéral made in USA qui domine l'Occident depuis 1990. Toujours intéressant de comprendre d'où viennent les choses et de quoi on est vassaux.

Écrit par : Mikael, | 03/11/2009

OBSESSION OU COHERENCE ?

> Je partage votre dénonciation du libéralisme. Cependant, il me semble que votre anti-libéralisme devient, au fil des messages, obsessionnel. En vous focalisant exclusivement sur le libéralisme - qui est moins une idéologie figée qu'une manière de concevoir le monde - vous en faites un fétiche. Si ce fétiche se borne à mieux symboliser des situations concrètes, passe encore. Mais attention à ne pas mettre sur le dos d'une idée tous les affres de l'humaine condition, qui proviennent quand même du péché. Sans pour autant être nominaliste, il m'arrive plus souvent de croiser des hommes concrets qui pratiquent l'injustice que d'apercevoir le libéralisme en train de commettre un crime.
Olivier C.

[ De PP à C. :
- Etrange refus (courant chez les catholiques français) d'appeler les choses par leur nom !
- Etrange aussi, ce tic d'appeler la cohérence "obsession".
- Etrange encore, cette habitude de séparer la cause et les conséquences. Le système économiciste qui abîme aujourd'hui le monde est une "structure de péché", selon la théologie catholique moderne. Il est donc indissociable du péché. Pourquoi séparez-vous les deux choses ?
- Si vous pensez que le libéralisme n'est pas un problème, complétez d'urgence votre information. Je vous conseille le livre de François Huguenin (éditions du CNRS).
- Une "manière (vicieuse) de concevoir le monde" est-elle moins critiquable qu'une "idéologie figée" ? Hitler disait : "le national-socialisme n'est pas un dogme mais une 'weltanschauung' (manière de concevoir le monde)."
- La bourgeoisie catho était bien contente lorsque Pie XI condamnait le communisme ; pourquoi s'est-elle sentie gênée quand Paul VI a condamné le libéralisme ? Cherchez le fil conducteur, qui n'est peut-être que le bourgeoisisme. ]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Olivier C., | 04/11/2009

BENOIT XVI TRÈS PROCHE DE LA PENSEE DE PAUL VI

> Opposer la pensée sociale et économique de ces deux papes serait absurde. Cf l'article de La Croix d'aujourd'hui :

" 06/11/2009 8:30
Benoît XVI à Brescia, sur les pas de Paul VI

Dimanche 8 novembre, le pape se rend à Brescia, ville natale de Paul VI, pour le 30e anniversaire de sa mort. Une visite qui manifeste les liens entre les deux pontifes. Benoît XVI ne l’a évidemment jamais oublié : le 27 juin 1977, il fut créé cardinal par Paul VI. C’est tout naturellement qu’il lui rendra hommage dimanche à Brescia, à l’occasion du 30e anniversaire de la mort de Giovanni Battista Montini, étonnamment célébré avec plus d’un an de retard.
Déjà les écrits de Joseph Ratzinger témoignent d’une filiation explicite avec Paul VI. Dès après son élection, Benoît XVI tint à souligner, dans son discours à la Curie en 2005, qu’il se situait résolument dans le sillage de Jean XXIII, puis de Paul VI. Pour ces trois papes, Vatican II est à lire dans le cadre d’une « herméneutique de la réforme », en opposition à une « herméneutique de la discontinuité et de la rupture ».
Autrement dit : oui à la réforme, mais dans une continuité profonde avec la Tradition vivante de l’Église. Cette analyse ferme la porte à une forme de surinterprétation du Concile, vu comme une rupture avec cette Tradition. Benoît XVI a loué à plusieurs reprises la « sagesse et la prudence », « le réalisme et l’optimisme évangélique » de Paul VI dans sa conduite du Concile.
À quarante ans de distance, Caritas in veritate , l’encyclique de Benoît XVI publiée le 7 juillet dernier, cite plus de 50 fois Populorum progressio : le pape allemand se situe clairement «dans le cadre du magistère spécifique de Paul VI et, plus généralement, dans la tradition de la doctrine sociale de l’Église».
Là où Paul VI évoquait le « développement des peuples », Benoît XVI préfère insister, actualisant le concept, sur le « développement humain intégral ». Là où le premier diagnostiquait que « le monde est malade, non pas tant de la dilapidation des ressources ou de leur accaparement par quelques-uns, mais d’un manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples », Benoît XVI constate, avec la mondialisation, la financiarisation, l’aggravation de cette tendance. D’où son appel : sans « la charité dans la vérité », pas de développement véritable, humain et intégral.
En se rendant à Brescia (Lombardie), la cinquième ville d’Italie, Benoît XVI entreprend donc un véritable pèlerinage là où naquit Giovanni Battista Montini le 26 septembre 1897. Il y rappellera les grandes étapes de la vie de son prédécesseur, élu le 21 juin 1963 sur le siège de Pierre et prenant le nom de Paul VI. Diplomate de formation, Mgr Montini avait travaillé pendant trente ans à la Secrétairerie d’État, très proche collaborateur de Pie XII, avant d’être nommé archevêque de Milan fin 1954. Quatre ans plus tard, Jean XXIII le créait cardinal.
Le 7 décembre 1965, devenu pape, Paul VI clôtura solennellement le concile Vatican II. On lui doit notamment les encycliques Ecclesiam suam (1964) sur le dialogue de l’Église avec le monde, Populorum progressio (1967) sur le développement des peuples, et Humanæ vitæ (1968) sur le mariage et la régulation des naissances.
Il fut le premier pape à entreprendre des grands voyages internationaux, notamment en Terre sainte (1964) et à l’ONU (1965) où résonna son cri fameux : « Plus jamais la guerre ! » Ardent promoteur du dialogue œcuménique, de la justice et de la paix, il réforma la Curie romaine, instituant notamment le Synode des évêques. Il mourut le 6 août 1978. Son testament disposait, simplement : « Pour moi, pas de monument. » Déjà, le 13 novembre 1964, Paul VI avait solennellement déposé sa tiare sur l’autel de Saint-Pierre, en faisant cadeau aux pauvres du monde entier.
Frédéric MOUNIER (à Rome) "

Écrit par : Luça, | 06/11/2009

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